La navigation vers l’embouchure du Maroni est rapide. Nous sommes poussés par le courant Nord-Equatorial et devons réduire la voile pour ralentir et arriver de jour à l’entrée du chenal. Le long des côtes guyanaises, il y a très peu de fond. Dès le début du chenal, nous avons à peine 6 m de fond donc il faut faire attention à bien rester entre les bouées. L’eau est passée de trouble et verte aux îles du Salut à marron opaque ici.
Pendant environ 2h nous remontons le fleuve en restant toujours bien dans le chenal qui nous fait longer les berges du côté français. De l’autre côté, à près de 2,5km, c’est la berge du Suriname. La végétation est luxuriante, puissante et partout. Il y a un seul village directement sur le bord avant Saint-Laurent du Maroni.
Nous arrivons à St Laurent du Maroni vers 12h et prenons une bouée à la « Marina », abrités du courant par l’épave du vapeur « Edith Cavell » échoué en 1924. De loin, on dirait une île, il est couvert de végétation. L’eau est douce mais ici le fleuve est sujet aux marées et le courant est souvent très fort, ce qui est rassurant d’être à la bouée. A peine débarqués, nous sommes accueillis par la petite communauté des habitants de bateaux. Nous sommes les seuls visiteurs en ce moment, nos 3 ou 4 voisins voisins de mouillage travaillent ici. Un peu plus haut sur le fleuve, nous avons été contactés via la VHF par Thommy et le rendez-vous est pris sur la place pour le soir. Nous retrouvons aussi Lena, une amie d’amie qui nous fait visiter le centre de St Laurent. En seulement quelques heures, nous avons beaucoup d’infos sur St Laurent et les environs, l’escale promet d’être riche.
Le lendemain, Thommy, Yulia et Enzo nous invitent à déjeuner sur le carbet flottant qu’ils gardent pour un ami. Ici, le carbet est le mot qui désigne une sorte de cabane plutôt ouverte, comme une sorte de préau. Du coup la ventilation est optimale et on souffre moins de la chaleur même si la forêt attenante offre une humidité maximale. En visitant les lieux, nous faisons la rencontre de notre animal du jour : un serpent liane ! Vert clair, il est presque invisible sur le feuillage.
Nous passons beaucoup de temps avec Enzo et ses parents qui vivent en Guyane depuis 6 ans. Les filles sont ravies d’avoir trouvé un copain et nous passons notre temps entre le carbet flottant, notre bateau où l’air est irrespirable de 11h à 17h et des visites à terre : St Laurent, la crique Cascade, St Jean, courses et marché à St Laurent du Maroni…
La ville de Saint-Laurent du Maroni est très étendue et nous parcourons surtout son centre ville. Son plan forme un quadrillage et les avenues sont larges, plus ou moins bordées de trottoirs. Il y a beaucoup de bâtiments en bois dont beaucoup abîmés par le temps. L’ambiance n’a pas grand-chose à voir avec la métropole, elle nous fait plus penser à l’Afrique mais avec une population plus diversifiée. Ça doit être ça l’ambiance créole… Chaque communauté tient son rôle : les Hmongs cultivent des fruits et légumes et vendent sur le marché au côté des Bushinenge (Noirs-marrons), les Chinois tiennent des bazars ou des petites épiceries à tous les coins de rue. Il y a des petits vendeurs de fruits, légumes, œufs ambulants. Les rues sont animées le matin vers 7h, avant le début de l’école à 7h30, à 12h/13h à l’heure de la pause déjeuner et de la fin des classe puis c’est le calme total jusqu’à 16h où les premiers magasins réouvrent, quand le soleil est un peu plus bas.
Le soir, nous nous retrouvons souvent sur la place Baudin à la tombée de la nuit vers 19h. Il y a des enfants qui jouent partout, au parc ou sur la place où ils font du roller ou de la trottinette. Yaëlle est ravie, elle peut emprunter les rollers d’Enzo. Les filles pensent avec nostalgie à leurs rollers et à leurs vélos.
Le 8 janvier, Gaëtan est prêt pour rejoindre son guide. Mais il a d’abord deux jours de pirogue à faire pour remonter le fleuve jusqu’à Papaïchton, ce qui est déjà une aventure en soi. Chaque village dispose d’un carbet de passage, plus ou moins confortable, ce qui permet de faire des pauses la nuit dans la remontée du fleuve. Avec les sauts à passer (des rapides avec des rochers partout), le tout dans une pirogue en bois de 20m chargée de sacs de ciments ou autres matériaux, mieux vaut naviguer de jour. Dans le carbet, chacun attache son hamac et c’est reparti le lendemain.
Pendant que Gaëtan dort dans la forêt dans son « carbet bâche », boules quies enfoncées dans les oreilles pour atténuer les bruits nocturnes de la forêt, avec les filles, nous faisons des petites excursions avec nos amis et nous en profitons aussi pour aller faire notre expérience de nuit en hamac dans un carbet à Prospérité, un village amérindien proche de St Laurent. Les filles sont excitées de dormir en hamac, à tel point qu’elles se cassent la figure chacune leur tour. Ça ne pardonne pas le hamac !
Le village ne présente pas un grand intérêt sinon sa tranquillité et c’est surtout l’âne qui aime se mettre à l’abri contre notre carbet qui occupe beaucoup les filles. Les maisons sont très espacées les unes des autres et entourées d’herbe et de plantes bien entretenues. Des enfants s’amusent avec des cerfs-volants qu’ils ont fabriqués avec des morceaux de sac poubelle et des bouts de bois. Ils arrivent à les faire voler très très haut !
Quand nous retrouvons Gaëtan il est fourbu mais content de son expédition. Il du motiver un peu son guide pour marcher plus que le peu qu’il proposait mais il a appris plein de choses sur la forêt. Il faudra quand même quelques nuits pour se remettre de ses nuits en hamac.
Avant de quitter Saint-Laurent du Maroni nous visitons le centre de la transportation où arrivaient les « transportés », prisonniers de droit commun envoyés aux travaux forcés en Guyane depuis la métropole. La ville de Saint-Laurent a été en grande partie construite par les bagnards. Les « relégués », les vagabons et autres personnes qui gênaient le regard dans la société de l’époque étaient envoyés à St Jean où nous avons visité le cimetière. Les prisonniers politiques, les « déportés » étaient retenus aux îles du Salut. Il y avait 31 sites pénitentiaires répartis dans toute la Guyane. La mortalité était très élevée partout, en raison des conditions de détention et des mauvais traitements. Au îles du Salut, par exemple, les cellules n’avaient pas de toit, ce qui mettaient les bagnards à la merci du soleil et de la pluie.
Nous prévoyons 3 jours pour quitter le fleuve, ayant envie d’au moins une escale dans la crique à vaches (bras de fleuve). Nous nous baladons en annexe sous les arbres dans une petite crique où les contreforts des arbres forment des motifs superbes. Les branches sont parfois basses et les filles ne sont pas rassurées, elles craignent de voir atterrit une araignée ou un serpent dans l’annexe. Le soir, au loin, nous entendons les singes hurleurs qui font un bruit guttural vraiment impressionnant.
Le second soir, nous mouillons près de la plage des Hattes et du village d’Awala Yalimapo. En soirée nous apercevons au moins une tortue en mer et sur la plage nous voyons quelques traces fraîches de tortues venues pondre. C’est seulement le début de la saison de ponte des tortues vertes et nous n’en verrons pas malgré notre pique-nique nocturne sur la plage.
Nous aurions pu rester encore longtemps en Guyane : profiter encore des copains, dormir plus en carbet, rester parler avec les gens du village d’Awala Yalimapo, menacé de submersion à court terme par la montée du niveau de l’océan, visiter un peu le Suriname et notamment sa capitale Paramaribo, marcher plus en forêt sur les sentiers balisés et gagner les hauteurs pour voir la canopée à perte de vue, visiter Cayenne, le centre spatial de Kourou, attendre une ou deux semaines seulement que la saison des pontes de tortue arrive, attendre le dimanche suivant pour assister à l’arrivée de Monsieur Carnaval dans les rues de St Laurent, signal d’ouverture des festivités du Carnaval qui vont durer un mois… Mais c’est pareil à chaque escale et le voyage, c’est faire des choix, donc renoncer !! Et puis, il faut être honnête, nous avons quand même trop chaud. Nous suons à grosses gouttes au moindre mouvement et c’est désagréable. Vivement un peu de fraîcheur et des baignades !
Nous quittons le Maroni le 19 janvier en direction de Tobago. Ça bouge fort dehors, nous n’avons plus l’habitude de l’océan et le mal de mer ne tarde pas à arriver ! Nous avions aussi oublié le goût de l’eau salée. Heureusement que la navigation ne doit durer que 4 jours.