Dès le passage entre Ibiza et les îles s'étirant jusque Formentera franchi, nous nous retrouvons au près bon plein dans une mer forte et dans un vent d'environ 30nds. Le pont est constamment arrosé par les vagues et à l'intérieur, les premières fuites apparaissent rapidement : hublots, aérateur, fuite depuis l'avant... Nous pensons que nous subissons un effet de la côte, la météo n'annonçant pas un vent aussi fort. Mais au bout de quelques heures les conditions sont toujours les mêmes. Les filles se réveillent, malades et les quarts consistent en la surveillance du bateau et la gestion des bassines de vomi. Les coutures de la grand-voile qui est déjà à 3 ris finissent par céder (le fil est cuit par le soleil) et nous avançons toujours bien sous trinquette seule.
Le vent se calme un peu dans la matinée ce qui permet à tout le monde de mettre un peu le nez dehors sans se faire mouiller. Puis le vent forcit à nouveau et les filles vont s'allonger sur la couchettes sous le vent, chacune avec une bassine comme « doudou ». Les fuites d'eau continuent et le sol de la cabine est mouillé, il faut se chausser pour se déplacer à l'intérieur.
L'accalmie et le changement de direction de vent annoncés sont à peine perceptibles et dans un grain encore un peu plus fort que les autres je commence à douter de la pertinence de continuer vers Carthagène et de faire subir un tel sort à mes enfants. Il-y-a-t-il un autre port plus proche ?
Mais nous avons déjà bien avancé et les conditions n'empirent pas donc nous maintenons le cap.
Nous arrivons à Carthagène le jeudi 10 décembre à 4h du matin. Dans les eaux calmes du port les filles retrouvent des couleurs et veulent manger, bouger. Elles n'en peuvent plus de leur position léthargique et réclament une histoire avant de retourner se coucher. Il ne reste que deux couchettes sèches alors nous nous couchons un peu où nous pouvons, comme nous pouvons.
Au matin, nous allons au port pensant y rester au moins quatre jours le temps de nous remettre de nos émotions. Nous profitons de l'eau douce pour un rinçage général des affaires, y compris des mousses de la cabine avant. Mais un créneau météo se profile pour le week-end et si nous trouvons une voilerie rapidement pour réparer notre grand-voile, nous pouvons le saisir.
En un temps record, la voilerie Baluma, vient chercher notre grand-voile, la répare et la ramène à quai ! Avec en prime, des personnes sympathiques, un prix vraiment correct et du travail apparemment bien fait. Du coup nous commandons une voile neuve, ayant des doutes sur la capacité de notre grand-voile actuelle à supporter une transat aller-retour si nous nous lançons dans ce projet.
Nous prenons quand même un peu de temps pour faire un tour en ville admirer les théâtres romains, la ville et son port à partir des jardins qui les surplombent. Le soir, les rues sont pleines de monde, les terrasses animées et les décorations de Noël ravissent les filles qui décrètent que cette escale est superbe même si les aires de jeux pour enfants sont toujours fermées.
Nous quittons Carthagène le samedi 12 décembre, juste avant le coucher du soleil. Les conditions ont bien changé puisque c'est au moteur que nous nous dirigeons vers Gibraltar. La houle est encore forte puis elle se calme.
Le bruit du moteur est assourdissant mais il permet de vivre à peu près normalement à bord et les filles découvrent avec étonnement que l'on peut vivre à bord en navigation sans avoir le mal de mer. Nous naviguons près des côtes donc nous avons aussi le paysage à regarder.
Et le deuxième soir, Gaëtan vient réveiller Manoë : les dauphins ! Ils passent et repassent autour du bateau, allumant le plancton dans leur sillage. Ce sont nos premiers dauphins et ils allument des étoiles dans les yeux des petites et des grands.
Nous longeons les montagnes marron et râpées autour d'Almeria, dont la côte est garnie de marais salants ou de serres recouvrant des hectares de terrain. A part le soleil, l'endroit ne paraît pas spécialement riche pour les cultures de fruits ou de légumes, mais avec de bons engrais on peut faire des miracles. Nous regardons avec circonspection les fruits et les légumes que nous achetons en supermarché en nous demandant si vraiment, nous ne pourrions pas faire autrement. Après tout, nous sommes en voyage, nous devrions avoir le temps de chercher des fournisseurs aux produits plus respectueux de l'environnement et de la santé. Nous allons bien dans les « fruteria », sortes de petites épiceries spécialisées dans le frais mais nous retrouvons souvent les mêmes choses qu'en grande surface. Nous admettons aussi que la corvée de courses pour quatre, sans voiture, n'est pas des plus facile et la tentation est grande d'aller au plus rapide.
Petit à petit nous voyons apparaître les sommets enneigés de la Sierra Nevada. Tiens, mais nous avons nos affaires de ski ! Et si on faisait une pause ? Nous renonçons, vraiment décidés à aller au soleil.
La dernière nuit avant Gibraltar est tordue, le courant nous empêche d'avancer et nous faisons du sur-place en face de Marbella. Puis à la renverse, ça repart et nous arrivons dans la baie de Gibraltar le 15 décembre vers midi, le réservoir de gasoil bien vide et les oreilles bourdonnantes de toutes ces heures de moteur.
Nous allons au port une fois de plus, à La Linea de la Conception, la ville espagnole voisine de Gibraltar.
Dès le lendemain, les vélos sont de nouveau de sortie et nous allons faire un tour « en Angleterre ». Le poste frontière passé, nous voilà immédiatement en Angleterre, à part que les véhicules roulent toujours à droite. Nous parcourons la rue principale jalonnée de boutiques « duty free » puis finissons au jardin botanique planté de plantes tropicales et dans lequel est aménagée une superbe aire de jeux. Ce territoire anglais nous donne un sentiment de confort que nous avons du mal à expliquer. Est-ce l'ordre, la propreté, les panneaux explicatifs ou indicatifs partout, la présence de toilettes publiques ? Peu importe. Par contre, notre très court séjour nous plonge dans le mystère : est-ce parce que nous sommes en terre anglaise que nous finissons notre visite sous le crachin puis sous la pluie ? C'est notre troisième jour de pluie depuis le départ et je n'avais pas pris les vestes. Dans les embouteillages « retour » à la fermeture des bureaux et sous la pluie, nous sommes trempés et Yaëlle s'endort sur le vélo. De retour au bateau, nous nous changeons intégralement et nous finissons de nous réchauffer en faisant des crêpes, tout contents de notre dépaysement du jour. Pendant ce temps, un gros nuage gris est resté accroché au rocher de Gibraltar...
Encore quelques milles et nous serons en Atlantique. Nous rejoignons Tarifa : le Père Noël a livré un colis important à l'adresse de David, notre voisin de chantier lorsque nous étions à Port-Saint-Louis du Rhône. Tarifa est la ville espagnole à la fois en Atlantique et en Méditerranée. La transition est surprenante. Nous retrouvons la houle, l'odeur d'iode, les cris des mouettes, les marées avec excitation. Nous avons dit aux filles que nous allions vers des pays plus chauds, où les baignades seront à nouveau possibles. Yaëlle n'a pas encore la notion du temps et pense que nous sommes arrivés. A peine l'ancre accrochée, elle se met à l'eau sans plus d'émotion liée à la fraîcheur de l'eau. En ressortant elle est un peu de mauvaise humeur, congelée et se sentant apparemment trompée : « l'eau est froide et je n'ai même pas vu de poissons trompette, vous m'avez menti !! » Il faut attendre encore un peu !
En attendant les latitudes tropicales, nous fêtons les 6 ans de Manoë qui est surexcitée. En plus des cadeaux classiques des petites filles de son âge, cette année Manoë a eu pour son anniversaire : la visite de dauphins, une baignade et un mouillage méditerranéen aux portes de l'Atlantique.
On nous fait savoir qu'il n'y a pas de place pour les voiliers à Tarifa, ni au mouillage, ni dans le port. Il faut retourner à Gibraltar ou aller à 20 milles au nord, à Barbate. Nous tentons vainement de négocier et allons à Babate, à l'opposé de notre route vers les Canaries.
Le dimanche 20 décembre, nous partons vers les Canaries dans des conditions de rêve : mer plate à part la grande houle du large, soleil, vent de 10 nds venant du travers. Le vent ne devrait pas tourner dans tous les sens, la mer devrait rester bien organisée : le bonheur !! Cette traversée est aussi notre première grande navigation puisqu'elle va durer 4 à 5 jours. Nous allons voir comment se comportent les filles et quelle suite nous pouvons envisager.